Saint-Jean-du-Pin (Gard) : la montée au château de l'abbé Pierre

Je vous rassure de suite, il n’y a ici nul scandale ou malversation du fondateur d’Emmaüs, l’Abbé Pierre (Henri Grouès - 1912-2007). Celui qui m’occupe, dans cet article, a vécu au 18e siècle et ne fut ecclésiastique qu’à la toute fin de sa vie. Il s’appelait Pierre-Augustin Boissier de Sauvages (1710-1795).

Homme du siècle des Lumières, il a laissé derrière lui l’image d’un promoteur de l’identité languedocienne et de l’industrie du vers à soie via le mûrier, un homme aux multiples talents, avide de nature et amoureux des plantes comme en témoignent toujours les superbes et rares spécimens au sein de l’Arboretum de son château disparu sur les hauteurs (321 mètres) de Saint Jean du Pin, à quelques encablures de Alès.

26 Septembre 1896, la ville d'Alès inaugure trois monuments. Celui-ci est un hommage officiel à l'un de ses enfants ; la  dédicace "l'obro laouzo lou mestre" : "L'oeuvre loue le maître". Comme d'autres à Alès, le buste est fondu en 1942.
26 Septembre 1896, la ville d'Alès inaugure trois monuments. Celui-ci est un hommage officiel à l'un de ses enfants ; la dédicace "l'obro laouzo lou mestre" : "L'oeuvre loue le maître". Comme d'autres à Alès, le buste est fondu en 1942.

Comment Y ACCEDER ?

Accéder au fameux château et à l’Arboretum se mérite, comme dans toute découverte des Cévennes, par le temps de l’ascension !
Depuis le village de Saint-Jean-du-Pin (D50 Alès-Anduze), un panneau directionnel nous invite à le suivre, mais on peut aussi y parvenir par de petits chemins forestiers en suivant le GR44D-GR70 “Tour de la vallée du Galeizon”. Autre route, celle en amont de Saint-Jean-du-Pin, par “le chemin du bois commun” accessible depuis le quartier “Saint-Raby” (route D50, sortie d’Alès vers St-Jean-du-Pin) ; de fait, il faut prendre comme si vous souhaitiez aller au “site de l’Ermitage” (magnifique point de vue sur le bassin Alésien) mais continuer tout droit après le carrefour sans y monter ! Direction lieu-dit “la Traquette”, laisser bien sûr son véhicule et se mettre en marche ! Ou bien encore, via l'autre bout du GR de Pays du Tour de la Vallée du Galeizon à prendre à La Blaquière, aux pieds du Puech de Cendras que domine une tour en ruine.
Environné par les collines, la chlorophylle des chênes verts ou autres arbousiers et l’état d’abandon des faisses, le promeneur trouve tout à fait adéquat le nom de son but : le château de “Sauvages”. En effet, si l’on s’en tient au latin (“silvaticus”) et à l’ancien français (“salvage”) on est dans cette métaphore d’un “homme des forêts”. Pourtant le linguiste Charles du Fresne, sieur du Cange (1610-1688) avançait plutôt une étymologie venant de “salvator” qui viendrait plutôt signifier que ce lieu, certes inaccessible et propice aux cachettes, était sous la protection d’un seigneur. Anecdotiquement, à la fin du XIXe, des locaux racontaient de libertines scènes au profit de certains seigneurs Boissier : paysannes dévêtues dansant la bourrée !
Pour en revenir à l’environnement, il ne faut pas oublier que, lorsque l’on se promène de nos jours dans les Cévennes, ce paysage fut tout sauf immuable. Là où aujourd’hui, nous ne voyons que collines boisées (majoritairement de pins maritimes plantés il y a une petite centaine d’années pour une utilisation comme poteaux de soutènement minier), celles-ci du moins au XVIIIe étaient alors largement défrichées et laissées apparaître “faisses”, ces petits espaces agricoles à flancs de collines avec murs en schiste, oeuvres laborieuses des Cévenols d’antan, où s'épanouissaient des mûriers, dont Pierre-Augustin Boissier en fit l'apologie au cours de ses études pour développer en encourager la sériciculture Cévenole  !

Le château de Sauvages et la famille de boissier

Détail du diocèse de Alès en 1781 - on y remarque l'indication du Château Sauvage
Détail du diocèse de Alès en 1781 - on y remarque l'indication du Château Sauvage
Le "Château" de Sauvage (327 m.), sur le GR de Pays du tour de la vallée du Galeizon
Le "Château" de Sauvage (327 m.), sur le GR de Pays du tour de la vallée du Galeizon
Autant prévenir celles et ceux qui aiment les belles demeures seigneuriales, sur place ne subsistent plus que quelques bâtiments en ruines. Devenu en 1912 la propriété des Mines de la Rochebelle (présence locale de houille mais aussi de gisements de fer hydraté ou spathique), le château fut rasé au cours des années 1960. Je n’ai mis la main, au cours de mon enquête, sur aucune représentation de celui-ci ! 
Par contre, on peut s’en faire une idée via cette description architecturale et intérieure de la fin du XIXe siècle.
“Haute façade presque dépourvue d'ouvertures, et dont l'appareil de pierres noircies par les siècles, ressemble à celui des constructions romaines et des moustiers du temps de Charlemagne, l'on sent que cette vieille demeure est une relique du passé, et que, si elle a subi les inévitables outrages des ans, elle est restée indemne de tous les changements que le temps, par les mains des générations mobiles et st diverses de goûts et de moeurs, a coutume d'imposer aux habitations humaines. Cette antique maison possède pour ainsi dire une âme, qui vient au-devant de vous, dès que vous franchissez son seuil, et qui vous parle de ses vieux souvenirs (...) Dans cette vaste salle aux petites fenêtres, meublée d'immenses sofas, de grands fauteuils Louis XIII (...) Le petit cabinet dans lequel il serrait ses livres, ses instruments, ses papiers en une méchante bibliothèque grise, est à coté de la chambre, qui fut vraisemblablement sa chambre à coucher. Plus loin dans un étroit réduit, voici sa chapelle, avec un petit autel en bois, dont le retable est garni de toiles peintes.” (tiré de la biographie écrite par l'Abbé de Broves)
Le nom de Boissier se retrouve déjà au XIIIe sur Alès. La famille occupa les meilleures places, dont celle de Consul d’Alès (= terme désignant les ancêtres de nos maires, conseillers municipaux) par exemple pour Antoine de Boissier (docteur es droit) en 1594. Ces postes de pouvoirs, ce “sang bleu” favorise les mariages, ainsi on ne s’étonne donc pas de trouver des liens de parenté avec un célèbre auteur “pastoral” du XVIIIe dont je vous parlerai bientôt : Florian auteur de “Estelle et Nemorin”.
A l’époque de Pierre-Augustin, le château n’est la propriété des Boissier que depuis l’arrière grand-père, un certain François (v.1580-v.1659), docteur en droit, qui récupéra la seigneurie (“fief de basse et moyenne justice”) et le château par son mariage avec Delphine de Tuffan.
Notre protagoniste est le petit dernier d’une grande fratrie (6 enfants, un garçon meurt vite, restaient 4 garçons et une soeur aînée) issue de l’union d’un capitaine au Régiment des Flandres, François (1637-v.1720) avec Gillette Blanchier ou Blanchet (1637-1751). C’est au décès de son frère avocat au Parlement de Toulouse, Pierre-Alexis en 1752-1754, que cette propriété et seigneurie de Sauvages, devient la demeure de Pierre-Augustin Boissier de Sauvages.
Je ne prend pas ici le temps de développer, je le ferai ultérieurement, mais je ne puis oublier de faire mention d’un autre illustre frère : François Boissier de Sauvages de Lacroix (1706-1767), médecin et botaniste. Un buste au Jardin des Plantes de Montpellier honore encore son oeuvre dans la ville où il officia.

https://maleta.occitanica.eu/retraches/boissier-de-sauvages_11958.html

L'arboretum, conservatoire d'une faune / flore d'exception

La "pivoine voyageuse" (Paeonia Peregrina) pousse au château de Sauvages
La "pivoine voyageuse" (Paeonia Peregrina) pousse au château de Sauvages
Inclus dans la Forêt Domaniale de Rouvergue, ces 4 hectares, connus pourtant pour les espèces rares qui y vivent et s’y développent, ne sont étonnement pas inclus dans la “Zone nationale d’intérêt écologique faunistique et floristique” (ZNIEFF 910030276) de la vallée du Galeizon toute proche1.
Les amateurs de plantes et de nature trouveront sur place 15 essences de feuillus et 10 essences de résineux comme le Genèvrier de Virginie (Juniperus virginia). On s’étonnera de croiser à cette altitude un Sapin Nordmann ou un Cèdre du Liban de 150 cm diamètre. Non loin des chênes liège, on peut, au printemps, voir s’épanouir les fleurs pimpantes des très rares et menacées Paeonia Peregrina... surnommées “pivoines voyageuses”2.
Arboretum du "château" de Sauvage : le fameux Cèdre, rien que lui vaut le déplacement !
Arboretum du "château" de Sauvage : le fameux Cèdre, rien que lui vaut le déplacement !

Recherche et rédaction : Maxime CALIS - guide-conférencier - Février 2019

Notes :
  1. https://inpn.mnhn.fr/zone/znieff/910030276
  2. http://guikandco.free.fr/sauvages.xhtml

Sources

 

Lire la conséquente biographie que lui consacre l'Abbé de BROVES - L'Abbé de Sauvages, dans les Mémoires et Comptes-Rendus de la Société Scientifique & Littéraire d'Alais - 1897

 

https://www.nemausus.com/saint-jean-du-pin-et-le-chateau-de-sauvage/


A VOIR, A FAIRE DANS CE COIN LA

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Commentaires: 1
  • #1

    Patrick (mardi, 11 août 2020 09:20)

    Dommage de tout laisser à l'abandon et de ne pas conserver et respecter ce patrimoine.. ���