La Corrida et le Sud-Ouest : depuis quand ?

Arène de Nîmes, deux avant-corps de taureaux sont visibles sur l'une des arcanes extérieures.
Arène de Nîmes, deux avant-corps de taureaux sont visibles sur l'une des arcanes extérieures.

Comme je suis non originaire de la région, la pratique de la corrida m'intrigue.

En tant que citoyen, soucieux de voir se développer un monde conscient des altérités des hommes et de leurs cultures, je puis à minima, comprendre l'attachement des régionaux et aficionados. D'un autre, toujours en tant que citoyen, plus que conscient que nos modes de vies et pratiques doivent parfois être interrogées, remis en question, je suis tenté d'afficher une certaine révulsion vis-à-vis de la tauromachie.  C'est certain, ce sujet est très clivant !

En ces temps de férias, et annonçant de suite que jamais je n'ai assisté de ma vie à autre chose qu'à une course de vachettes, je ne pouvais faire l'impasse, qu'on le veuille ou non, sur une part non négligeable de ce qui ferait l'identité du Sud-Ouest. Cette "tradition locale ininterrompue" rejoint ce que j'ai pu connaître culturellement dans ma chère Flandre, à savoir l'existence toujours tolérée depuis 1964 (grâce à l'appui du Lillois Charles De Gaulle) des gallodromes où se déroulent encore des combats de coqs. 

Cela semble évident, mais l'origine du mot "corrida" vient du verbe espagnol "correr" ("courrir") et intègre le commun à savoir la tauromachie (du grec ancien ταῦροςtaûros (« taureau ») et μάχηmákhê (« combat »).

L'HOMME ET LES BOVINS, une bien longue histoire

Les amateurs de tauromachie ont souvent des arguments pour estimer que l'homme a depuis ses origines, eut des relations esthétiques, culturelles, sportives, cultuelles avec le taureau. Et il serait faux de réfuter le tout, tellement le lien entre l'Homme et cet animal est omniprésent depuis la nuit des temps.

Comme tout commence par la Préhistoire, l'art pariétal des grottes offre dans son très large bestiaire une place de choix aux aurochs et taureaux, tels ceux célébrissimes de Lascaux.  Les recherches actuelles permettent d'envisager un rôle central aux bovins au néolithique : "La figure du bovin est également très présente : décors de vases en forme de cornes de bovin, vases représentant des taureaux, crânes de bovins hérissant les palissades de certaines enceintes, stèles gravées de têtes de bovin… Le bovin, animal puissant et impressionnant, peut constituer un emblème de la domestication, et par là même de la maîtrise des hommes sur leur environnement." (source INRAP).  

Parmi les divinités qui traversèrent la très longue histoire de l'Egypte ancienne, on trouve Apis,  là encore le taureau est mis en avant.

Autre civilisation : la Crète. Visiter le Palais de Cnossos, les musées et c'est de suite plonger dans la mythologie du Minotaure que l'on peut corroborer en découvrant les fresques ou figurines qui ressemblent forts à des prémices de tauromachie ! Pourtant cette première trace tauromachique que l'on attribue à la civilisation minoenne, où de jeunes nobles étaient amenés à passer un rite initiatique, pourrait aussi être une vue de l'esprit de "l'archéologue" Arthur John Evans (1851-1941). Ainsi scientifiquement, l'on débat et l'on continue de s'interroger sur l'authenticité ou la falsification de tels rites qui passent communément comme véridiques et actés pour nombre d'entre nous ! 

On pourrait continuer à loisir d'évoquer, prouver, la place centrale du taureau au sein de nos croyances.

Le culte de Mithra venu de Perse et devenu très populaire lors de la période Romaine et place là-encore le taureau au centre ! Aujourd'hui si culte est oublié, il est certain qu'il était une concurrence au christianisme des origines, puisque monothéisme, et qu'il fut logiquement interdit au milieu du IVe siècle. Mais il y avait un problème car la grande fête de l'année était celle de "Sol Invictus", liant Mithra et solstice d'hiver, soit le 25 Décembre. Ainsi l'Eglise adopta, hors de toute vérité, ce jour comme date officielle de la naissance de Jésus ! 

Ainsi que ce soit, en Inde avec les vaches sacrées, le rôle capital du bison pour les amérindiens ou la scène finale "d'Apocalypse Now", la place du bovin dans nos croyances est partout ! (Plagiat Blow Up! Arté)

CORRIDA DEPUIS LA NUIT DES TEMPS, VRAIMENT ?

Les aficionados de tauromachie sont un peu dans le vrai lorsqu'ils mentionnent l'existence d'un lien fort entre le bovidé et l'Homme, mais rien pourtant ne peut venir facilement me convaincre que la corrida ou la tauromachie sont culturellement très anciennes. 

A celles et ceux qui y voient une continuité du combat au sein des arènes romaines, on demande des preuves (on y massacrait une multitude d'animaux) et on fera remarquer que les lieux actuels mêmes du "duel" furent soient détruits ou au mieux habités jusqu'en 1809 pour les arènes de Nîmes ou pour celles de Arles jusqu'en 1837 par exemple ! 

Et puis, l'on a le chauvinisme. " Dans le Midi taurin, déclarait le président Doumergue, ardent défenseur de la corrida dans les années 1900-1920, la passion des taureaux à des racines plus profondes qu'en Espagne même ». Analyse. D'abord, oui historiquement la corrida et la tauromachie viennent d'Espagne. Leurs racines espagnoles, mêmes si on peut discuter l'organisation, la forme (XVIIIe), peuvent remonter aux XIe-XIIIe siècles, ce qui n'est déjà pas si mal ! Alors de là à donner à la tauromachie franchouillarde et surtout sudiste une primauté... quels faits ? Certes, il existait une tradition de courses de vaches landaises et provençales mais celles-ci, comme tout ce que l'on considère comme la "tradition", le "folklore", se fixèrent au cours du XIXe siècle Et fixer cela comme typiquement localisé au Sud ne tient pas lorsque l'on sait que des courses (ou combats entre animaux) forts ressemblantes, types encierros,  se tinrent à Paris, Lyon, Rouen, Autun et même en Angleterre ! On me fera remarquer que dans ces zones périphériques, elles s'arrêtèrent entre le XVII et le XIXe. Ce à quoi, je demande : et alors, ici, localement, quelle est la date effective de l'introduction de cette "longue tradition ininterrompue" qu'est la corrida ? 

Si l'on ne peut nier l'attachement local à la tauromachie, celle-ci fut très loin d'être unanimement partagée dans ces régions. Au départ elle fut combattu par les élites. De nos jours, dans les 10 départements concernés, la désapprobation atteint 75%.

Le plus paradoxal dans cette affaire, c'est de voir la concomitance entre la loi Grammont de 1850 introduisant dans le corpus législatif la protection des animaux ("seront punis d'une amende de 5 à 15 francs, et pourront l'être de d'un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques") et l'intégration de la tauromachie espagnole au sein de la culture méridionale. 

Car ce n'est qu'en 1853 qu'assistèrent pour la première fois les Nîmois à un spectacle de la tauromachie.

Leurs réactions ? De prime abord avec 30 000 curieux, c'est un succès. Le choix de se mesurer, homme / taureau est très applaudit, puis vinrent les moments de maltraitances et de mises à morts et là, la foule prit une toute autre attitude : hostile ! Il fallut attendre dix ans pour revoir une corrida à Nîmes (9 seulement furent organisées jusqu'en 1891 !), d'autres échecs émaillent les premières tentatives à Bayonne, Dax. Ainsi, le courage du toréador ne fut pas instinctivement adopté comme une part de l'ADN régional, et le sang d'une bête, esseulée, assaillit de toute part, rebuta. D'autres introductions au sein de départements du Nord tournèrent courts (Le Havre en 1868 / Roubaix en 1899). L'on attribue l'introduction de cette pratique au mariage de l'Empereur Louis-Napoléon III avec l'Espagnole Eugénie de Montijo qui assista au premier spectacle de Bayonne, le 21 août 1853. 

Ce n'est qu'au tournant du XIX-XXe siècle que la tauromachie, peu à peu, s'implanta dans le Sud-Ouest., notamment via les migrants espagnols installés en France... à l'exemple d'un Pablo Picasso !

Depuis, les deux camps, bien que fort disproportionnés (8 français sur 10 souhaitent son abolition), s'affrontent, s'invectivent, se combattent.

Le clientélisme électoral n'est peut être jamais loin dans certaines décisions de maires (interdiction de réunions d'opposants) mais les actes de certains anti-corridas ne valent parfois guère mieux. Plus surprenant, la fascination qu'exerce ce spectacle sur des évêques, tel Monseigneur Cadilhac de Nîmes. Les raisons invoquées par cet Homme de Dieu dans un entretien en Novembre 1981, sont très judicieusement démontées par Théodore Monod.

Les arguments d'un ultime et beau combat homme / bête, après, tout de même, une belle vie, en plein air, au sein d'une manade en Camargue, bien loin des sinistres abattoirs industriels, reviennent comme des litanies, mais sont aussi éculés que ces quelques vers du réalisateur au temps du muet, et poète à ces heures perdues, Louis Feuillade (1873-1925).

 

"Mais les taureaux voués au glorieux trépas,

Foulant de leurs sabots la couche végétale

Qui parfume leurs songes et tapisse leurs pas

Nobles et nonchalants, broutent l'herbe natale.

Ils sont libres et forts (...)

Ils ont le ciel pour toit et les bleus horizons (...)

Quand ils auront fini leur agreste festin

Ils iront, sans regret, vers les sanglantes lices

Acquitter leurs rançons tragiques au destin,

 

Repus d'herbages frais, d'air pur et de génisses (...)"

Louis Feuillade - Pâques taurines

Feuillade souffla l'idée, à la première réalisatrice de film de l'histoire du cinéma Alice Guy, de filmer deux courts métrages en 1906 dans les arènes de Nîmes. Ciné toujours, mention notable au "Blood & Sand" (1941) de Rouben Mamoulian, où outre le scénario suivant la carrière incertaine d'un torero, joué par Tyrone Power, c'est la sensuelle et superbe Hita Hayworth dans une scène de tauromachie humaine qui marque les esprits. 

Depuis, la tauromachie, quoi que l'on en pense, a fait son oeuvre, inspirant même en 2007 au groupe américain The White Stripes un clip à message avec "Conquest".

Recherche, rédaction : Maxime Calis, guide-conférencier - Juin 2019

Bibliographie et sources :

 

De nombreuses sources sont incluses directement en lien dans l'article. 

 

Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine - Avril-Juin 1997 - E. Baratay, Professeur Lyon - Comment se construit un mythe, la corrida en France au XXe siècle - p. 119-152. 

 

Théodore Monod - Dictionnaire Humaniste et Pacifiste - article Corrida, Arthaud Poche : les Fondamentaux de l'écologie - Mai 2017.

 

http://www.allianceanticorrida.fr/


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