Originaire du Nord, lors de mon installation à l'été 2018, et même si je savais que ex-industrie charbonnière des Cévennes avait beaucoup en commun avec l'ex bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais (UNESCO), je fus bien amusé de reconnaître une physionomie urbaine, paysagère et impressionné par la persistance mémorielle. Partout les habitats typiques, dans le paysage le "crassier" à la place des "terrils", vestiges des anciens carreaux de fosses avec quelques chevalements encore debout et présence d'une mémoire vivace, notamment via un musée totalement dédié à cette histoire dans ma ville, La Grand Combe !
Forcément, un tel impact mémoriel sur mon nouvel espace de vie ne pouvait que m'inciter à me pencher sur l'histoire du charbon dans les Cévennes.
Une histoire de "carbon" !
Ce bassin houiller s'est bien évidemment formé au Carbonifère (358-298 millions d'années), mais à sa fin étant "d'âge Stéphanien moyen et inférieur" (303-299 millions d'années). Les charbons arrêtent de se produire il y a 290 millions d'années.
Le mot "charbon" vient du latin "carbo" qui signifie "braise" (cf. Pline, Histoire Naturelle). En 1787, le savant chimiste Antoine de Lavoisier prouve qu'un seul et même élément chimique compose aussi bien le diamant, le charbon que le graphite, il nomme cet élément "carbone".
Le terme "Carbonifère" désigne à partir de 1838, la cinquième de six périodes du Paléozoïque où se sont formées les couches de charbon en Europe de l'ouest.
Le mot "houille" est une variation des mots wallons "hoye" / "hougne" qui renvoient aux "fragments, mottes" sorties de terre par les premières exploitations charbonnières au XIe siècle ; la première trace archivistique de cette "proto-industrie" date de 1066 dans la région de Newcastle.
Les petites vidéos pour tout comprendre
Dans les Cévennes, la zone charbonnière s'étend sur une superficie de 200 km2 sur une trentaine de kilomètres.
Sa forme en V, avec à sa pointe Alès-Rochebelle remonte jusqu'à Banne (Ardèche), là sont les charbons sont gras (leur teneur en carbone tourne entre 75-90%), et de l'autre, où les charbons sont maigres et anthraciteux (leur teneur en carbone tourne entre 90-93%), par la Grand-Combe jusqu'à Portes et ses alentours.
Les couches de charbon sont peu-épaisses (0,30 cm. à 15 m. maximum) et très discontinues, disloquées, charriées les unes sur les autres, voir avec le fossé tertiaire d'Alès (faille des Cévennes) les fait plonger à -2400 m. en-dessous du niveau de la mer ! Ce bassin minier donna des rendements moindres que les autres zones de charbonnage du pays, avec la terrifiante difficulté supplémentaire d'une zone infestée par le grisou.
Le charbon dans l'histoire
Les propriétés thermiques propres à ce minerai et ses vertus dans l'industrie sont connues depuis fort longtemps. Le grec Théophraste (v. 371 / v. 288 av. JC), disciple d'Aristote, dans son Le livre des pierres, devenant ainsi le fondateur de la minéralogie, décrit "Ces pierres qu'on casse pour s'en servir, s'appellent charbon (ἄνθρακας), elles sont de nature terreuse : elles brûlent et le feu les consume comme des charbons (ἄνθρκες).Οη les trouve en Ligurie où nait également l'ambre (ἤλεκτρον) et aussi en Elide, en allant à Olympie à travers les montagnes. Ceux qui travaillent les métaux en font usage."
Pourtant en Europe, du moins dans l'Italie du 13e siècle, on s'ébahit lorsque le Vénitien Marco Polo (1254-1324) à son retour d'Asie fait mention du charbon parmi les merveilles qu'il a pu découvrir lors de son long périple. Ce serait au Turkestan (entre mer Caspienne et désert de Gobi), qu'il aurait assisté à son exploitation. Il en parle dans son ouvrage Le devisement du monde : "le charbon est une pierre noire qui est extraite des montagnes. Une fois qu'il est allumé, il retient le feu beaucoup mieux que le bois, si bien qu'on peut le maintenir durant la nuit et que le matin il brûle encore".
A contrario, la "terre noire" ou "charbon de pierre" pourrait être extraite du sol des Cévennes depuis l'Antiquité, si aucun texte ne peut le confirmer, on connait l'existence de mines argentifère dans les Cévennes ainsi que des prospection pour le cuivre et les sables aurifères sur les rives du Gardon ou de la Cèze. En tout cas, les traces de son exploitation dans ce bassin comme dans d'autres zones du pays ou de l'Europe sont attestés, même modestement à la même période que Marco Polo.
Souvent, pour notre territoire, on relève le fait que l'abbé de Cendras de 1240 à 1254, Bernard de Soucaton affecte les paysans dépendant de son monastère à rechercher cette "terre noire". Dès 8 livres que lui reversaient ceux-ci au titre du "cens", il en affectait 100 sols en rente au profit de son infirmerie. Une chance qu'un tel document existe puisqu'au 13e siècle, peu de cas d'exploitation charbonnière sont conservées : Carmaux (v. 1290), Boussagues dans l'Hérault (1206), dans la Loire (1267) ou bien sûr chez mi, din Ch'Nord, dans le Hainaut avec le choix en 1251 de l'évêque de Cambrai d'affecter la moitié du charbon de Gilly (Charleroi, Belgique) au profit de l'abbaye de Lobbes (Binche, Belgique).
Rien pourtant de très dirigé, l'extraction se faisant de manière "anarchique", privilégiant le charbon qui affleurait à flanc de coteau ou en creusant des petits puits, les "baumes", abandonnant de suite lorsqu'une source apparaissait.
Paysan de son état, son outillage se compose de pic-pioche, de houe, d'une pelle, auxquels il ajoute coin et masse. Le charbon est transporté à dos d'homme dans des hottes ou des corbeilles.
Là où le charbon n'est pas présent, et même dans des zones proches, on note une utilisation massive du "charbon de bois" pour la chauffe des métaux par exemple. Résultat fatidique, au fil des siècles, l'homme anéantit des espaces boisés fort conséquents. Le bois, un matériau de proximité que l'on retrouve partout : facile à façonner, utile aussi au chauffage domestique, sans oublier son emploi pour créer les navires...
Pierre-Clément de Grignon est "Maître de Forge" à Bayard sur Marne et Inspecteur Général des usines à feu sous Louis XVI. On lui attribue l'invention du mot sidérurgie. En 1775, regrettant la "perte irréparable" des forêts par des sidérurgistes incompétents, il publie des "Mémoires de Physique sur l'art de fabriquer le fer" dans le but d'y remédier.
"Les forêts s'appauvrissent et se détruisent par l'excès d'une consommation abusive. Quel intérêt la société n'a-t-elle pas de découvrir des moyens de conserver un bien si précieux, si nécessaire et si indispensable à nos Manufactures ? L'on y peut parvenir par une sage administration ; mais plus efficacement en économisant le charbon dans les travaux qui ont pour objet la réduction des mines (minerais) et leur métallisation, par la juste application des lois de la pyrotechnie dans la construction des fourneaux qui en consomment immensément ; puisqu'un seul fourneau consomme ordinairement en une année le produit de deux cents arpents de bois de l'âge de vingt-cinq ans : il y a en France près de six cents fourneaux de fonderie, c'est cent vingt mille arpents par an".
Un arpent valant sensiblement ½ hectare, ce sont donc soixante mille hectares de bois qui disparaissent chaque année.
LES DEBUTS DE l'exploitation charbonniere dans le Bassin ALESIEN
Nous l'avons évoqué plus haut, dès le milieu du Moyen-Âge, l'exploitation charbonnière est ici encouragée. Fruit du travail des paysans, elle leur apporte un complément en chauffage, mais très vite, son besoin devient capital, par exemple pour l'activité des chaufourniers.
"Le 23 novembre 1344, Michel Ribaute, Bertrand Barrai, Pierre Prieur et Jean de Dions. fermiers de la mine de St-Jean du Pin, traitent avec Guillaume de Bossagues, laboureur d'Alais ; ils lui promettent trois deniers tournois par salmée de charbon gros à usage de forge, et un denier tournois par salmée de charbon menu à usage de four à chaux. »
La demande est telle, mais l'extraction si balbutiante et inégale au XVe siècle, que l'on envisage même à Alès l'extinction du filon ! On fouille, on creuse un peu partout autour de la capitale des Cévennes. Bien avant la création de la ville de La Grand Combe, son potentiel en charbon est remarqué. En 1344, les mines de Saint-Andréol-de-Trouillas existent déjà. Un siècle plus tard, d'autres mines au Pradel ou à La Forêt sont loués par le comte d'Alès, Charles de Beaufort. A contrario, les seigneurs de Portes, les Budos sont plus sensibles aux minerais de fer qu'au "charbon de terre".
Le 13 Mai 1698, Louis XIV entérine la coutume ancestrale établissant comme principe absolu la liberté d'exploitation sur un terrain privé. Mais les besoins et l'intérêt du "charbon de terre" deviennent vite un enjeu pour le Royaume, et donc, à l'inverse, le 11 Janvier 1744, on stipule que dorénavant il faudra la permission du Contrôleur des Finances avant toute exploitation, même sur un terrain privé ! Mais Versailles est très loin, les moyens de coercition et de contrôle étant ce qu'ils étaient, en 1760, bafouant toute permission Royale, on recensait alors près de 80 exploitations dans les régions d'Uzès / Alès.
C'est l'arrivée en Cévennes du savant minéralogiste Pierre François Tubeuf qui marqua le début d'une exploitation maîtrisée et encadrée.
Fin de la première partie
Recherche et rédaction : Maxime CALIS - guide-conférencier - Novembre 2019
A VOIR DANS LE COIN SUR LE SUJET
A Champclauson, à 5 minutes en voiture, sur les hauteurs de La Grand Combe, découvrez La Forêt Fossile, renommée et renouvelée en 2020 en Dinopedia Parc !
Musée et exposition avec des dinosaures (les enfants les adorent), puis visite en petit train pour aller admirer les vestiges fossilisés d'arbres du Carbonifère !
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Pascal (mercredi, 27 novembre 2019 22:51)
On reste sur sa fin... Vivement la partie suivante..