Le mal des bassines
Ci-dessous, reproduction par extrait du Journal des connaissances médico-chirurgicales - 1er Septembre 1852 – Lecture à l'Académie de Médecine du rapport "Du mal de vers ou de bassine" de M. Potton, qui sera signalé, lors d'un éloge historique de son auteur en 1872, comme "le point de départ de toutes les études faites depuis lors, en divers pays, sur cette question d'hygiène industrielle".
"Lorsqu'une femme s'adonne sans interruption à la filature des cocons et travaille régulièrement la journée entière, elle voit constamment, au bout d'une semaine environ, deux au plus, se produire sur les mains, et de préférence sur la main droite, la maladie pas très-grave, mais souvent douloureuse, qui a reçu le nom de mal des bassines.
C'est à la naissance des doigts, dans leur intervalle entre la première et la deuxième phalange, quelques fois sur le dos et dans les plis de la main que l'éruption séciculo-pustuleuse débute. Une démangeaison n'offrant d'abord rien de pénible se fait sentir (...) bientôt la rougeur se fait plus forte (...). Le gonflement ne tarde pas à se produire, il augmente avec la douleur qui devient irritante, la chaleur est âcre, exagérée, la peau se couvre de marbrures, de plaques brunâtres ; l'épiderme se soulève, on soit surgir d'abord une éruption miliaire, de petites vésicules qui s'accroissent, se remplissent d'un liquide clair et transparent qui se trouble ensuite, s'épaissit et devient visqueux. (...) Tous les mouvements deviennent pénibles ; ils ont pour résultat, dès le troisième ou quatrième jour, si les ouvrières malgré un profond sentiment d'engourdissement et de gêne, continuent leur travail, de faire crever les vésicules ; la sérocité s'échappe, un soulagement momentané, quelques fois permanent, se manifeste. (...) Mais en général, (...) une deuxième période s'annonce, des symptômes nouveaux se manifestent plus sérieux la révèlent ; ou bien les vésicules subissent une transformation, prennent la caractère de franches pustules. C'est un liquide purulent qui suinte à la surface du corps muqueux enflammé, et qui soulève l'épiderme. (... ) Tout exercice de cet organe occasionne des souffrances très aiguës. Il est impossible de plier complètement les doigts. (...) Mais lorsque les pustules sont arrivées à terme, avant même que le pus soit évacué ou desséché, toutes les souffrances cessent (...). Les douleurs prurigineuses, la sensation de brûlure, la chaleur qui l'accompagne, ont cessé d'une manière brusque comme par enchantement ; la main est loin d'être revenue à son état normal, et cependant les fileuses, ne souffrant plus, n'ont pas hésité de reprendre leur ouvrage.
Le mal des vers, chez certains sujets, revêt des formes plus fâcheuses. (... ) L'inflammation pénètre plus profondément, toute la peau est altérée (...) le gonflement devient énorme, les doigts de la main sont déformés, une tuméfaction oedémateuse se prolonge au poignet, à l'avant-bras, au bras lui même ; ses vaisseaux lymphatiques, ses ganglions, les glandes de l'aisselle s'engorgent et s'endolorissent (...) la peau est violacée, la fièvre locale que les malades accusent, comme dans les panaris, est ardente. Les symptômes généraux éclatent, il y a des frissons, des maux de tête, de l'insomnie, du dégoût, envies de vomir (...). Après dix-huit ou vingt jours, au maximum, la guérison est parfaite, il ne reste pour toute trace qu'un peu de rougeur ; on ne reconnaît que de très petites cicatrices sans signe particulier. (...)
Cette affection est toujours aiguë ; elle ne laisse jamais après elle d'altération chronique (...) sauf quelques exceptions, lorsqu'une ouvrière a été atteinte, elle peut, en quelque sorte, espérer d'exercer ensuite sa profession, sans avoir ultérieurement à redouter sinon la maladie, du moins ses accidents les plus graves ; il est presque permis de dire qu'il y a eu pour elle une sorte de vaccination. (...)
Quelle est sa cause ? D'après M. Potton, cette éruption doit exclusivement son origine à la présence du ver, à sa décomposition intime à une première altération (...) qui puise une force nouvelle, une plus grande énergie dans l'action de l'eau chaude (...). Si l'on n'emploie que des cocons nouveaux étouffés seulement depuis peu, l'effet morbide n'apparaît pas ; mais si les cocons sont anciens, s'ils ont été gardés une année et plus, on est presque certain de voir éclater l'éruption chez les ouvrières.
(...) Pour faciliter la résolution en calmant les douleurs et permettant à la malade de passer par ses phases naturelles, M. Potton a retiré des avantages incontestables des toniques légers, des bains dans des décoctions de plantes aromatiques, de feuilles de noyer, de ronces ou d'écorces de chêne ; des manuluves dans le miel rosat étendu d'eau. Les corps gras, les préparations sulfureuses ou alcalines ont été plutôt nuisibles qu'avantageuses. (...)
Ferdinand-François-Ariste POTTON (17/03/1810 à Bourgoin (Isère) – 26/01/1869 à Lyon), médecin de l'Hospice de l'Antiquaille de Lyon de 1836 à 1859 ; fin lettré, passionné d'études historiques.
"Le meilleur moyen que les ouvrières aient de se soustraire à cette légère affection, est, m'a-t-on dit, de mettre fréquemment les doigts dans du vin rouge foncé en couleur et froid.
Chaque dévideuse a de l'eau froide à côté de sa bassine"
Note de VILLERME - Tableau de l'état physique et moral des ouvriers - Tome 1 - Paris - 1846
"Durant la nuit, elles ont soin de tenir sur les organes affectées les préparations prescrites, ou bien elles substituent avec avantage des solutions d'alun, de sulfate de fer, de sulfate de cuivre ammoniacal, de sulfate de zinc ; dans les fabriques de l'Ardèche, des Cévennes, un moyen réputé très efficace, très usité, consiste dans des lotions avec de l'urine et dans l'application de compresses trempées dans ce liquide"
J. Ch. M BOUDIN - Traité de géographie et de statistiques médicales et des maladies endémiques -
Tome Premier - Paris - 1857 - p. 358.
Musée de la Soie de Taulignan en Drôme provençale, proche de Grignan.
Le musée retrace l'histoire de la soie du 18ème au 20ème siècle.
"Tous les appareils sont chauffés à la vapeur. Chaque bassine est pourvue d'un robinet à vapeur, d'un robinet à eau froide et d'un tuyau de fuite placée sous la main de l'ouvrière, et manoeuvrés par elle au grès des besoins. (...) L'usage de l'aiguière à eau froide, attenant à chaque bassine, a un autre avantage, c'est d'atténuer sensiblement l'éruption assez douloureuse qui se développe fréquemment sur les doigts des ouvrières au début de leur profession, et qui est due au contact permanent d'une liqueur chaude chargée des principes solubles du cocon."
Charles de Freycinet – Rapport sur l'assainissement industriel et municipal en France –
Paris – 1866 – p. 44-47
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Calis Pascal (mardi, 14 septembre 2021 14:55)
C'est plutôt effrayant comme métier, il leur fallait beaucoup de courage.