Les vestiges gallo-romains ne manquent pas dans ce secteur de l’Occitanie. Même le moins averti de nos compatriotes (ou nos innombrables touristes étrangers) citerait au moins les arènes de Nîmes ou sa Maison Carrée, sans parler bien sûr du spectaculaire Pont du Gard. Passons le Rhône et voici le Vaucluse avec Orange et son théâtre... pas trop loin la bien nommée Vaison-la-Romaine. Les Bouches du Rhône possèdent un autre site prestigieux à Saint-Rémy-de-Provence (“Glanum” en ce temps là), avec entre autre, côte à côte, un arc de triomphe et l’un des deux mausolées antiques sauvegardées en France... le second, bien que fort différent, se trouvant en Lozère, à Lanuéjols non loin de Mende.
Vu leur rareté, il n’est guère étonnant de retrouver ces deux mausolées inclus dans la toute première liste des 934 bâtiments que Prosper Mérimée va dresser afin de les sauvegarder comme “Monuments Historiques”. Nous sommes en 1840 !
Mais qu'est-ce-qu'un mausolée
C’est un monument funéraire, généralement de très grande dimension.
Son étymologie vient tout simplement du nom de Mausole, un satrape, soit le gouverneur d’une province de l’empire Perse au 4e siècle avant notre ère. Il se fit entre autre construire à Halicarnasse (aujourd’hui Bodrum dans le sud-ouest de la Turquie), un monument tellement vaste qu’il fut inclus dans la liste de “Sept Merveilles du Monde”... bien que retrouvé au 19e siècle, ce mausolée n’est plus qu’un amas de pierre. De ces sept merveilles ne subsiste plus que la pyramide de Khéops !
Le nom générique “mausoleum” ne fut pourtant adopté que vers le XVe siècle. Auparavant, on trouvait le terme grec “thaumasia” qui venait le mettre en opposition au “cénotaphe”, monument certes en hommage aux morts, mais vide, symbolique... là où le mausolée contient le corps du défunt.
Chez les Grecs, lors des funérailles, suivant le niveau social, on pratiquait soit l’incinération ou l’inhumation. Platon était plus que circonspect vis-à-vis des sépultures ostentatoires, ainsi déclara t-il : ”Il ne faut jamais ruiner sa maison en s’imaginant à toutes forces que l’être qui est le nôtre est ce tas de chairs que l’on est en train d’ensevelir. Agissons pour le mieux ne faisant des frais que mesurés”1.
Chez les Romains, même si on retrouve des similitudes dans la forme organisationnelle des funérailles (ex : les pleureuses), ils suivront l’exemple des riches et vastes tombeaux étrusques. Ce sont bien évidemment les plus riches (dont les Empereurs) qui pouvaient s’offrir le luxe d’un vaste mausolée, les autres devant se contenter de pierres tombales plus modestes ou se tourner encore vers l’incinération. Le Musée de la Romanité de Nîmes comporte un bel ensemble de stèles, tombeaux de toutes les classes sociales. Ajoutons qu’alors, et contrairement aux pratiques ultérieures où les chrétiens se faisaient enterrer soit au sein même de l’église ou autour, la salubrité publique exigeait que les espaces funéraires soient hors des murs de la cité !
Un mausolée en lozère, mais pour qui ?
Le mausolée de Lanuéjols est connu dans les textes depuis le XIIIe siècle, mais il n’était guère visible, ensevelit au trois-quart. Ses origines étaient à tel point oubliées que certains parlèrent de “temple sarrasin”. Les superstitions locales y voyaient le logement (“Lou Mazelet”) de fées ou de sorcières (“los fados)” ; d’autres pensaient qu’il s’agissait d’une porte monumentale puisque nous sommes dans une vallée !
Le premier “historien” des Cévennes, le Père Jean-Baptiste Louvreleul dans ses "Mémoires historiques sur le pays du Gévaudan" (1724 ou 1726) l’attribua enfin comme le tombeau d'un illustre romain Lucius Munatius Plancus. La carte de Cassini mentionne elle aussi "tombeau romain". Si Louvreleul ne se trompe pas trop dans l’espace temps, il est totalement dans le faux puisque cet illustre général Romain vécut entre -85 av. et 15 ap. JC... et le mausolée de Lanuéjols fut construit, non sous le règne d’Auguste, mais vraisemblablement au IIIe siècle. De plus, L.M. Plancus, fondateur tout de même de Lyon en -43, fut inhumé très très loin de la “capitale des Gaules” puisque c’est dans la région de Naples, à Gaète. Son mausolée est fort bien identifié et existe toujours !
Il est plus qu’étonnant que cette ruine, même presque invisible (mais connue), ne soit pas plus utilisée par les locaux durant tout ce temps. Au tout début du XIXe siècle, le préfet de la Lozère (de 1802 à 1813) Joseph-Antoine Florens (1762-1842), fonctionnaire certes mais surtout érudit, s’opposa au bon moment à un habitant qui n’y voyait que de futures et juteuses pierres à chantier ! On ne s’étonnera donc pas qu’en 1819, Florens devienne le premier président de la Société d’Agriculture, Commerce, Sciences et des Arts de Mende.
En 1813, le successeur de Florens, le préfet Charles-Guillaume Gamot (1766-1820) a reçu un ordre de l’Empereur Napoléon Ier : remplir les objectifs de conscrits de la Lozère afin d’alimenter une Grande Armée bien mal en point après la déroute de Russie et à l’aube de nouvelles campagnes militaires où la France, lâchée par “ses alliées”, se retrouvera vite toute seule ! Au cours de ses tournées d’inspection, Gamot constate que les protestants sont tout de même plus volontaires que les catholiques pour s’engager dans la défense nationale, mais il voit aussi l’état désolant (coupe massive et anarchique des bois et sur les causses) et arriéré du département (analphabétisme... même des élus locaux !). Il rédige des rapports2 qui sont de véritables mines d’or pour la recherche historique.
C’est au cours de l’une de ses inspection en Mai 1813 qu’il visite et envisage l’idée de déblayer un mausolée alors au trois-quart sous les alluvions. En 1814, la prairie est rachetée par l’Etat. On sort bien quelques pelles et pioches, mais le chantier est vite délaissé. Le mausolée est à nouveau soumis aux brusques aléas climatiques et recouvert quelques temps plus tard. Heureusement qu’il y aura le prestigieux classement pour que son caractère archéologique inestimable ne fasse enfin réellement bouger les choses : en 1855 ! Sous l’égide de la société départementale des Sciences, Agriculture etc..., l’architecte départemental Tourrette et le président de la société Théodore Roussel établissent le mode opératoire pour le déblaiement du monument et en dressent un état3 en 1859 !
Si l’on sait depuis 1814 avec le rapport de l’académicien Walckenaer que “le monument (...) est assurément un tombeau (...)” et que “suivant l’inscription placée au-dessus la porte, il appartient à un Pomponius Bassus”, le mausolée se révèle en 1859 comme un parfait exemple de l’organisation de ce type de bâtiment.
On y accède par un escalier qui nous amène au “pronaos”, littéralement “espace devant le temple” qui était alors flanqué de colonnes de part et d’autre. On se retrouve alors face au mur ouest qui est percé d’une porte de 2 mètre de largeur sur 2 m 57 de hauteur, surmontée d’un linteau. Cette porte passée, on accède à la “cella”, une pièce, dans notre cas ici, unique. Le mausolée est de forme carré de 5 m 35 de côté, flanqué au nord, au midi, à l’est, de trois niches de 1 m 30 de profondeur sur 2 m 75 de longueur. La niche sud s’élève à 3 m 15 de hauteur.
Il fallut pourtant encore attendre de nouvelles fouilles en 1881 pour qu’enfin le savant architecte Germer-Durand viennent à bout du déchiffrage du texte latin inscrit sur le linteau.
"A l’honneur et à la mémoire de Lucius Pomponius Bassulus et de Lucius Pomponius Balbinus, fils très pieux, Lucius Julius Bassianus, leur père, et Pomponia Regola, leur mère, ont construit cet édifice du fondement au faite, et l’ont dédié, avec les édifices circonvoisins”.
BOn ALORS, QUI ETAIENT CES ROMAINS ?
Vous l’avez compris, vous êtes ici face à un mausolée familial que deux parents éplorés ont fait construire en hommage à deux de leurs fils... la cause de leur mort restant un mystère ! Mais l’examen des noms de famille révèle que nous avons ici en Lozère, alors le pays des GABALES, face à nous des “romains”... mais plus important : que ceux-ci, outre leur richesse apparente et ostentatoire (il y est fait mention d’autres bâtiments aux alentours), étaient probablement liés à de très hauts personnages de l’Empire au IIIe siècle. !
Nous sommes alors en pleine période de l’Empire. Pour tenir ce vaste ensemble à son apogée et donc déjà vacillant, il faut créer de l’attachement, de la reconnaissance, il est donc bon que le statut des citoyens évolue, que les patriciens permettent à cette famille, les Bassuani, probablement d’origine syrienne, de s’élever socialement. Bon quand je dis ça j’en fais des tonnes car ils étaient tout de même d’ascendance royale et grands prêtres du dieu soleil Elagabal à Emèse (la pauvre ville d’Homs en Syrie) !!! C’est comme cela que Julia Domna Bassiana devint la seconde épouse de l’empereur Septime Sévère et la mère de Caracalla (né en 188 à Lyon ! - règne de 211 à 217). Deux autres femmes Bassiana donnèrent naissance aux empereurs Héliogabale (203-208-222) et Alexandre Sévère (208-222-235).
Et la mère des deux défunts de Lanuéjols, la Pomponia ? Et bien, on retrouve également son nom de famille dans le gotha de l’Empire romain : écrivains, jurisconsultes, hauts fonctionnaires !
On pourrait maintenant se poser la question : qu’est-ce qui a pu pousser les membres de familles aussi illustres, pleins aux as, à construire ici en Lozère ? Ils étaient très probablement en possession d’un vaste domaine agricole ici. Il faut rappeler que le pays Gabale et la région des Cévennes étaient connus et réputés pour leurs richesses en gisements métallifères : fer, plomb, cuivre, argent, or. Soit dit en passant que ce terme "Cévennes" englobait un ensemble territorial bien plus vaste en ce temps là. Le géographe Strabon semble inclure sous ce nom aussi bien les Cévennes actuelles que la Montagne Noire (Tarn) et le Massif Central4.
Les fouilles de 1881 menées grâce aux témoignages de locaux qui avouèrent avoir utilisés des morceaux pour leurs habitations, permirent de mettre au jour d’autres et innombrables fragments de pierres dans les espaces avoisinants, confirmant la dédicace ! 3 sites auraient existé ! Lors de votre visite, vous verrez sans mal des amas de part et d’autres du site.
Un tel patrimoine peut sembler saugrenue dans l’environnement actuel, mais l’est-on moins en découvrant des temples mayas en pleine forêt vierge ou des traces de pigments préhistoriques au beau milieu du Sahara ?
Même si son emplacement reste encore indéterminé, bien que l’on sache qu’il se trouve dans cet espace géographique (Cévennes), le témoignage en 465 de Sidoine Apollinaire (né à Lyon en 431 et évêque de Gergovie) nous montre toute l’opulence de la contrée à la fin de la période “gallo-romaine”. Celui-ci mentionne deux très riches villas (Voroangus / Prusianum) avec moult détails. Il y est en visite chez ses oncles Apollinaire et Tonnance de Ferréol, ancien préfet du prêtoire des Gaules. Ces lettres évoquent l'aménagement en eau (sauna, vasques, jets d'eau), les terrasses de vignes, d'olivier, les jeux de dés, la bibliothèque, les repas.
Recherche, rédaction, photos (libre de droit) : Maxime CALIS - Guide-conférencier - Mai 2019
Notes :
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https://lecultedesmorts.wordpress.com/2016/05/11/rite-funeraire-dans-la-grece-antique/
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Bulletin de la Société Agriculture, Sciences et Arts département de la Lozère. Tome X. Janvier à Décembre 1859, Mende - Section Archéologie - article de L. de Mas-Latrie, membre du comité
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Strabon à propos de la géographie des Cévennes :"Perpendiculaire au Pyréné, le Mont Cemmène traverse la milieu des plaines et s'arrête au centre (de la Celtique) près de Lyon ; son parcours est d'environ
2 000 stades (...) Le Mont Cemmène rejoint le Rhône au confluent de celui-ci avec l'Isère"
Sources documentaires
Bulletin du Club Cévenol, Avril-Juin 1904
Revue du Club Cévenol, Causses et Cévennes - 1965 : “Lanuéjols et son mausolée gallo-romain” p.266-268
Benoit Fernand. Un monument «préchrétien » du Bas-Empire : le mausolée de Lanuéjols (Lozère). In: Bulletin Monumental, tome 100, n°1-2, année 1941. pp. 119-132
Philippe Joutard (Dir.), Les Cévennes : de la montagne à l'homme - Privat éditions - 1995
Les sites internet
A VOIR, A FAIRE dANS ce coin là
Le Château du Boy (Lanuéjols)
Le Parc Attraction Le Vallon du Villaret : Jeux, art et nature
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