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Tout, vous saurez tout sur la chrysalide du Bombyx Mori

Cocon du "Bombix mori" ouvert et présentant la chrysalide - vitrine salle filature au sein du Musée Maison Rouge, Saint Jean du Gard (France)
Cocon du "Bombix mori" ouvert et présentant la chrysalide - vitrine salle filature au sein du Musée Maison Rouge, Saint Jean du Gard (France)

En tant que guide et médiateur au sein du musée, il y a une question qui revient souvent : "Dans le cocon, y a t-il encore le vers à soie ?".

Installé en partie au sein d'une ancienne filature de soie, dite la "Maison Rouge", le musée des vallées cévenoles de Saint Jean du Gard ne pouvait manquer de relater dans ce site emblématique l'épisode séricicole qui façonna une bonne partie de l'identité de notre territoire. Du XIIIe siècle au XXe siècle, les Cévenols ont tenu une part de leur développement économique via l'éducation des vers à soie ou Bombyx du mûrier dans les magnaneries, dont l'intérêt premier est à un moment déterminé de récupérer la majeure partie des "cocons" qui fourniront la matière première pour la confection du fil de soie.

Ce cocon est en fait le résultat de la "bave" du vers à soie au stade 5 de son développement. En moins de 72 heures (plus rapide qu'un test PCR Covid), on obtient un fil continu de 600 à 1 300 mètres qui prend alors l'apparence d'un amas compact de forme ovale. S'y enferme le bombyx mori, où dans la chrysalide, après un mois, il en ressortira en lépidoptère (papillon mâle ou femelle) afin de perpétuer l'espèce. Fatalement, c'est la matière première du cocon qui nous intéresse. Via diverses opérations, on en obtiendra un produit fini, la flotte de soie grège, qui une fois nettoyée, teinte puis tissée donnera cette fibre naturelle textile si résistante et si douce qui déplaisait tant au Romain Sénèque ! De fait, une grande partie des cocons se doit d'être intacte afin que l'opération de tirage du fil en soit facilitée. Par ébullition ou inclus dans des étouffoirs (sorte d'armoires), le papillon dans la chrysalide du cocon meurt. D'où, une autre question de nos visiteurs : "Mais que faisait-on de ces chrysalides ?".

Cocon du "bobix mori" où apparaît en transparence "le vers à soie" qui après un mois au sein de sa chrysalide deviendra un papillon mâle ou femelle, avant de percer son enveloppe.
Cocon du "bobix mori" où apparaît en transparence "le vers à soie" qui après un mois au sein de sa chrysalide deviendra un papillon mâle ou femelle, avant de percer son enveloppe.

LA CHRYSALIDE et l'ODEUR DES FILEUSES

Avant d'en venir au sort des chrysalides, il est bon de rappeler, à celles et ceux qui me font, de temps en temps, la réflexion que "avant on savait travailler" que les conditions de travail au sein des filatures de soie étaient très éprouvantes. Soumises par le rythme des machines et à des horaires de 14 à 10 heures, 6 jours sur 7, baignant dans une atmosphère chaude et humide de vapeurs d'eau, leurs mains exposées à de l'eau très chaude (60 à 90 degrés), leur attention requise par la surveillance visuelle continue du dévidage des cocons dont le nombre constant déterminera l'épaisseur et la qualité du fil, non, sincèrement, je ne crois pas que travailler dans une filature au XIXc'était le "bon temps".

Filature dans le secteur Les Fumades, non loin de Alès (Gard)
Filature dans le secteur Les Fumades, non loin de Alès (Gard)

Dans les années 1860, des études au sein des filatures relatent que les ouvrières au dévidoir sont "sujettes aux fièvres putrides, aux congestions pulmonaires, à l'hémoptysie, à une sorte de bouffissure du visage, à l'enflure des jambes et des pieds, aux furoncles, à des tumeurs qui ressemblent à l'anthrax (...) Pendant le dévidage des cocons, le contact de l'eau bouillante où ils sont plongés détermine dans les derniers temps surtout un gonflement avec ramollissement de l'extrémité des doigts, et parfois des crevasses et des abcès. Sous le nom de mal de vers ou de mal des bassines, le docteur Potton de Lyon, a décrit une éruption vésiculopustuleuse qui se montre à la naissance et dans l'intervalle des doigts ou sur le dos et dans les plis de la main ; cette éruption dure cinq à six jours quand elle est bénigne ; le plus souvent elle a une durée moyenne de quinze jours et s'accompagne de vives douleurs..." 1. Et si cela en motive encore certain, sachez qu'elles devaient en supplément supporter l'odeur putride des chrysalides en décomposition au sein de leurs bassines. Celle-ci imprègne leurs vêtements, d'où l'expression commune "d'odeur de la fileuse", mais également le pays ainsi on la mentionne comme typique, naturelle, "sui-generis" lors d'un débat à la Chambre des députés en 1909. 

DES CHRYSALIDES comme engrais ET EN CUISINE

Plus ou moins développée sur le pourtour méditerranéen, certaines régions ou pays tirent de la sériciculture, depuis des siècles, une part de leur richesse. Il est logique de trouver un exemple de l'emploi des chrysalides du côté de l'Italie puisque l'on sait que la sériciculture serait apparue en Calabre entre les IXe et le XIe siècles. Dans un ouvrage de 1813, on déniche toute une série d'exemples de la manière dont les chrysalides sont utilisées comme engrais de la campagne bolonaise à la Toscane2. En 1826, un mémoire tranche que "l'on ne saurait donc trop conseiller l'usage de cette substance, laquelle à l'avantage de présenter aux plantes un engrais qui est tout-à-la fois nutritif, en ce qu'il leur fournit des principes assimilables, et stimulant, en ce que l'ammoniaque qu'il renferme, excite la végétation, tandis que la vertu trop irritante de cet alcali se trouve tempérée par sa combinaison avec l'acide carbonique et les matières animales" 3.

Scène du film "Benedetta" de Paul Verhoeven (2021) se déroulant dans un monastère à Pescia en Toscane au XVIIe siècle
Scène du film "Benedetta" de Paul Verhoeven (2021) se déroulant dans un monastère à Pescia en Toscane au XVIIe siècle

Comme l'a si bien démontré le chimiste Lavoisier, "dans la nature, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". De la théorie à la pratique : dans les magnaneries, en complément des chrysalides que l'on déposait souvent en une petite quantité au pied des mûriers qui se ranimaient alors d'une manière merveilleuse, les litières chargées des excréments des vers à soie étaient mises à sécher, puis employées pour engraisser les moutons4Au Japon, autre pays de la soie, les chrysalides sont utilisées dans la pisciculture. Les Japonais ont trouvé un moyen d'en confectionner comme une sorte de biscuit très nutritif, riche en azote, sous l'action duquel les truites se développent rapidement. Par contre, en France séricicole, les oeufs avaient un goût détestable après le nourrissage des poules avec des chrysalides.

 

En parlant de cela, venons-en à la cuisine chinoise des chrysalides !

En 1893, on trouve ce témoignage du Père Favand : "Pendant le long séjour que j'ai fait en Chine, j'ai souvent vu manger et j'ai mangé moi-même des chrysalides. Je puis affirmer que c'est un excellent stomachique, à la fois fortifiant et rafraîchissant, et dont les personnes faibles font usage avec succès. (...) On les fait bien griller à la poêle pour que sa partie aqueuse s'écoule entièrement. On les dépouille de leur enveloppe qui s'enlève sans effort, et elles se présentent alors sous une forme de petites masses jaunâtres, assez semblables aux oeufs de carpe agglomérés. On les fait frire au beurre, à la graisse ou à l'huile, et on les arrose de bouillon, celui de poulet est le meilleur. Lorsqu'elles ont bouilli pendant cinq à six minutes, on les écrase avec une cuillère en bois, en ayant soin de remuer le tout de manière qu'il ne reste rien au fond du bol. On bat quelques jaunes d'oeufs, dans la proportion de trois pour cent chrysalides ; on les verse dessus et l'on obtient par là une belle crème d'un jaune d'or et d'un goût exquis. C'est ainsi qu'on prépare ce mets pour les mandarins et les gens riches. Quant aux pauvres, après avoir bien fait griller les chrysalides et les avoir dépouillées de leurs enveloppes, ils les font frire au beurre ou à la graisse, avec un peu de sel, de poivre et de vinaigre, où enfin ils les mangent telles qu'elles sont, avec du du riz." 5

Recherche et rédaction : CALIS Maxime - guide-conférencier - Septembre 2021


Notes :

      1. LEVY, Michel : Traité d'hygiène publique et privée – Tome 2 – Paris – 5e édition – 1869 / p. 879-80.

  1. RE, Philippe (trad. DUPONT) : Essai sur les engrais – Chapitre 17 "Des chrysalides du ver à soie" – Paris - 1813 / p.69-75

  2. BONAFOUS, Matthieu : Les moyens de remplacer la feuille du mûrier... / L'emploi du résidu des cocons comme engrais – Paris – 1826.

  3. ISIDORE, Pierre : Chimie agricole : Les engrais – Tome 2 – Sixième édition – Paris – 1882 / p. 232

  4. DE CHAMOISEL, G. : La petite revue : journal illustré de la famille – 13e volume - 1893

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