Si le châtaignier fut appelé "l'arbre à pain" par les Cévenoles car ils y tiraient leur principale subsistance alimentaire, le mûrier allait le supplanter économiquement au cours du XVIIIe siècle et prendre le surnom flatteur "d'arbre d'or". Pourtant la fortune tourna une fois de plus et amena le célèbre scientifique Louis Pasteur au chevet des sériciculteurs dans la région d'Alès entre 1865 et 1870.
MÛRIER-PLATANE, Morus bombycis, mais surtout le MÛRIER BLANC, Morus Alba (fruits blancs et insipides), leurs feuilles servent de nourriture aux vers à soie (Bombyx du mûrier, le Bombyx mori appelé "magnan" en Occitan ce qui signifie le "mangeur"), ne pas confondre avec le Mûrier noir (Morus nigra) qui donne les fruits foncés (mûres) que l'on connait, même si l'on donna des feuilles de mûriers noirs dans un premier temps aux vers à soie et que les mûres de chaque type sont comestibles et plus ou moins tachantes.
LES petites vidéos pour tout comprendre
Le mûrier-blanc est originaire de Chine. On prête la découverte fortuite du vers à soie lorsqu'un cocon tomba dans le thé de l'impératrice Leizu, femme de Hoang-Ti (Empereur Jaune), dont le règne commença 2659 ans av. JC.
Après plus de 2 000 ans d'un secret jalousement gardé (mais dont l'existence et la qualité du tissu avait parcouru le monde, ainsi mention dans l'Histoire Naturelle de Pline), son introduction en Europe aurait eu lieu grâce à deux moines grecs qui apportèrent des graines (oeufs) de vers-à-soie et des semences de cet arbre au milieu du 6e siècle dans la Byzance de Justinien.
Dès le Moyen Âge, le mûrier et son "industrie" sont implantés dans notre secteur
1296 – un habitant de Anduze est qualifié de "Trahenderius", tireur de soie
1340 – nouvelle mention sur Alès
1360 – achat par un marchand d'Anduze de "semen manhacomum" (semence de magnan) à des éleveurs de Mialet de St Jean du Gard
1561 – un habitant d'Avèze (Le Vigan) possède un atelier pour tirer la soie, avec 4 fours pour chauffer l'eau des bassines.
À partir de 1564, le jardinier pépiniériste Nîmois François Traucat (contemporain de Olivier de Serres) aurait fait planter "4 millions de mûriers en Provence et Languedoc".
Le SAVIEZ-VOUS ?
François Traucat entreprit en 1601 des fouilles sous la Tour Magne de Nîmes étant persuadé d'y trouver suivant une prophétie de Nostradamus "un coq d'or enterré". Les Nîmois s'offusquèrent des éventuels dommages à la tour et Traucat s'y ruina.
Olivier de Serres (1539-1619)
Natif du Vivarais (Ardèche), né à mort à Villeneuve-de-Berg.
Considéré comme le fondateur de l'agronomie en France, il s'inspire des études pratiques menées sur son domaine de Le Pradel (à Mirabel, en Ardèche), qui malheureusement fut totalement anéanti lors des guerres de religion (1628).
Ce protestant fait paraître un premier ouvrage sur la soie en 1599 et obtient un succès aussi bien en France qu'à l'étranger. Il devient un expert de cette économie et collabore avec le Nîmois Traucat. Des pieds de mûriers sont plantés en grand nombre aux Tuileries, à St Germain en Laye. On lui doit aussi des études sur les cépages et le vin.
En Provence et Cévennes, les feuilles du mûrier se vendaient au poids.
3 à 5 francs le quintal (= 100 kg). Un arbre produit 4 à 5 quintaux, certains peuvent aller jusqu'à 10 ou 12 quintaux.
On l'a vu l'implantation est ancienne, pourtant ce n'est réellement qu'après la dévastation de la châtaigneraie en l'hiver 1709 et en raison de la rentabilité plus rapide du mûrier, que se développa l'économie du vers-à-soie en Cévennes. Un document aux AD de l'Hérault dit : "La culture des mûriers est le Pérou des Cévennes". Ainsi au milieu du 19e siècle, le mûrier est partout jusqu'en Lozère (Florac). Le paysage régional est totalement refaçonné pour permettre son implantation sur les flancs des collines, les terrasses ("faïsses") se multiplient "de la racine jusqu'aux sommets". L'arrondissement de Le Vigan peut annuellement produire près de 1 million de kg de cocons et Alès, seule, s'enorgueillir de produire 1/4 de la production du pays !
Tiens, en parlant d'Alès, il faut ici rappeler les études et travaux d'un agronome-botaniste Alésien du XVIIIe : Pierre-Augustin Boissier de Sauvages, qui ne furent pas sans lien avec cette activité et son succès localement. Pour plus d'informations, je vous conseille l'article de mon blog à son sujet !
"On fend un rocher pour y planter le mûrier et mettre à l'aise ses racines"
Extrait d'un Mémoire de 1779
"Il n'est pas rare de voir un Cévenol déraciner avec la bêche ou faire sauter avec la mine de gros blocs de rochers et remplir le vide avec de la terre péniblement apportée à dos d'hommes et de mulets pour y planter quelques pieds de mûriers. On s'étonne moins de la courageuse persistance des habitants dans l'exploitation de cet aride terrain quand on songe aux résultats qu'ils en obtiennent. En effet, cette contrée trouve dans la récolte du mûrier et l'élevage des vers à soie des ressources suffisantes pour une honnête médiocrité". (citation du XIXe mentionnée dans l'Abécédaire des Cévennes, JP Chabrol - 2016)
Pourtant, et en référence à ce très beau tableau italien, il ne faudrait pas oublier que cette activité était en grande partie celle des femmes. Pour plus d'informations, lire cette étude de 2007 : Zanier, Claudio. « La fabrication de la soie : un domaine réservé aux femmes », Travail, genre et sociétés, vol. nº 18, no. 2, 2007, pp. 111-130. .
Et là c'est la catastrophe !
La sériciculture est donc le moteur économique principal de notre région des Cévennes, lorsque deux fléaux viennent presque l'anéantir au milieu du XIXe siècle, ce sont la PEBRINE et la FLACHERIE.
La pébrine se remarque par l'apparition de points marrons, noirs sur le corps du ver. Le nom "pèbre" signifiant "poivre" en provençal. Cette maladie causée par un champignon (la microsporidie Nosema bombycis) empêche le ver de développer son cocon... donc se produire la précieuse SOIE !
La flacherie, elle vient de l'ingestion par les vers de feuilles de mûriers contaminées, et produisant sur le corps du ver un effet "flasque" qui se putréfie.
C'est la consternation dans toutes les magnaneries, ces maisons typiques, hautes, qui accueillent sur de grandes étagères, des milliers de vers, là en bien piteux états, dévorant quotidiennement les feuilles de mûriers.
L'ancien professeur de Louis Pasteur (1822-1895) à la faculté de médecine, le chimiste Alésien Jean-Baptiste Dumas (1800-1884) fait appel à son brillant disciple pour trouver une solution... pour tout comprendre, je vous ai inclus une courte vidéo expliquant la démarche mise au point par Pasteur.
PASTEUR SAUVE LA SERICICULTURE
Si la pébrine trouva une solution et relança la sériciculture ; la flacherie, elle, ne fut pas vaincue par Pasteur !
Quoiqu'il en soit, le passage et le rôle capital du célèbre scientifique sur Alès ne sont pas oubliés. Sur le lieu même de son "domicile" au Pont Gisquet (dans le virage de la route vers St Jean du Pin) on peut apercevoir une plaque de 1923, sans oublier bien sûr l'érection d'un monument hommage des Alésiens le 4 Octobre 1896 toujours présent en bordure des jardins du Bosquet.
On peut y lire : "La science n'a pas de patrie, le savant lui doit en avoir une" !
Recherche, rédaction : Maxime Calis, guide-conférencier - Octobre 2019
A CE SUJET, CE QU'IL FAUT VISITER DANS LA REGION
Bien évidemment, je ne puis que vous recommander la visite du très beau Musée des vallées cévenoles, dit "Maison Rouge" qui transformant une ancienne filature de Saint Jean du Gard vous permettra de découvrir, outre la foisonnante collection d'objets traditionnels, la sériciculture.
Écrire commentaire
Michel Costa (samedi, 26 novembre 2022 08:57)
Très intéressant document ! Il faudrait toutefois, à mon avis, corriger une petite erreur concernant la production des mûriers "Un arbre produit 4 à 5 quintaux, certains peuvent aller jusqu'à 10 ou 12 quintaux". Ce n'est que le 1/10 de ces volumes que le mûrier traditionnel produit, ce qui est déjà beaucoup...
MC Ingénieur agro, spécialiste du mûrier - www.muriers-en-soie.com